Bavardage #24
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Jem & The Holograms
#11-16 : Dark Jem
Paprika
Rédactrice Comics, LDVELH et Synthwave
Publié le 16 Octobre 2023
Edité le 16 Novembre 2024
Format — VO
Editeur — IDW Publishing
Scénario — Kelly Thompson
Dessin — Sophie Campbell
Encrage — Sophie Campbell
Couleur — M. Victoria Robado
Lettrage — Shawn Lee
Genre — Licence / Tranche de vie / Ado
Particularités — Single Issues (#11-16) — $23.94 (3.99 x 6)
Temporalité — 2015 — Pixel Age
Dehors il pleut et en plus il fait froid. L'hiver n'est pas encore terminé et le printemps n'est définitivement pas pour demain. Vous avez fini de bosser mais vous lambinez un peu parce qu'il n'y a carrément rien à faire dehors à part se faire tremper jusqu'aux os pour attraper un rhume ou une bonne crève. En plus la météo annonce un pluie verglaçante et comme toujours, Paris est en alerte rouge très foncé à cause de deux pauvres flocons mouillés sur la chaussée. C'est pas aujourd'hui que vous allez flâner le nez à l'air et les cheveux au vent, d'une démarche insouciante. Puisque la météo est déprimante, vous ouvrez votre sac et vous en tirez votre fidèle Sony Sport Walkman Cassette WM-SX34, et le sourire aux lèvres, vous dégainez votre dernière acquisition, chinée au marché aux puces de la porte de Clignancourt. Une cassette mystère qu'on vous a refourgué gratuitement avec l'intégrale de Claude François. Vous refermez le compartiment et appuyez sur "play", une musique retentit dans vos oreilles...
"JEM ! Jem c'est le rêve ! Ouuuououh ! JEM ! Jem c'est la fièvre ! Ouuuououh ! Un rythme fou qui fait des jaloux ! JEM ! Le rock et la danse et le bon tempo qui balance ! Wohohoho Jem ! La review, le comics ! Magique ! Son nom c'est Jem et pour moi qui en parle, mon nom c'est Paprikaaa ! Alors quitte pas cette cassette et contente toiii de me subir en ryyyythme ! Parce qu'aujourd'hui c'est les eighties avec de la fashion Glam Gooooth ! Wooohohoooo ! Les numéros onze à seize de chez IDW ! L'arc Narratif Daaaaark Jeeeeeeem !!!"
Vous appuyez sur "pause" et vous soupirez longuement. Heureusement que vous avez pas payé cette cassette sinon vous auriez probablement cassé la gueule à la personne qui vous l'a donnée. Mais puisque la pluie continue toujours et que de toute façon vous avez pas grand chose de mieux à faire, vous sentez que vous allez rappuyer sur le bouton "play". Au moins c'est pas un enregistrement de quatre-vingt dix minutes des Lacs du Connemara tout droit volée dans un bal champêtre. Non sans un air blasé, vous réenclenchez le gros bouton et l'enregistrement continue...
Truly Outrageous
Pour les curieux, "Jem & The Holograms" est une licence appartenant à Hasbro et qui concernait initialement des poupées ainsi qu'un dessin animé, tous deux parus entre 1985 et 1988. Ces poupées étaient plus chères et plus grandes que leur rivale, Barbie, ce qui les a fatalement menées à leur perte car les vêtements n'étaient pas interchangeables diminuant ainsi beaucoup l'attrait auprès des petites filles. La licence dormait sagement dans les tiroirs d'Hasbro et en 2015, un très mauvais film est sorti et cinéma ainsi... qu'un comic book. (Qui n'a heureusement rien à voir avec ledit film !) Comme vous vous en doutez, c'est une nouvelle itération de licence qui, bien que rendant hommage au matériel d'origine s'en émancipe assez dans la durée.
La série fut lancée en grandes pompes sous l'égide de Kelly Thompson (actuellement sur la série "Captain Marvel" depuis 2019) et Sophie Campbell (que j'ai connue sur "Teenage Mutant Ninja Turtles" chez IDW en VO). Si je ne connaissais pas Thompson, j'avais énormément aimé le travail de Campbell dans TMNT et c'est avec des yeux emerveillés que j'avais découvert les chara-designs pour Jem et ses acolytes sur internet, avant la parution de la série.
Ce comic n'aura cependant duré que 26 numéros, Campbell quitte le navire après le #16. J'ai beaucoup aimé ces seize premiers numéros, mais les dix suivants beaucoup moins. Le changement drastique de style artistique n'a pas aidé et l'intrigue basculant sur le groupe "Stingers" ne m'a absolument pas interessée. Ces deux choses ont fait que je suis allée au bout de la série mais que j'ai vraiment dû me forcer à la lire intégralement. Aujourd'hui pour cet article j'ai décidé de simplement selectionner ma partie préférée: un arc intitulé "Dark Jem".
Si pour les premiers numéros la série commençait un peu sous des auspices un tantinet mièvres et gavée de tons pastels, je suis tout de même restée parce que c'était super beau et je dois vous avouer que j'ai eu un gigantesque crush sur le personnage de Phyllis "Pizzazz" Gabor, la chanteuse du groupe rival de Jem, "The Misfits". C'est vraiment extrêmement rare que j'ai les yeux qui brillent pour un personnage en particulier et j'admets encore plus rarement que je suis super fan de tel ou tel design, etc. Mais là c'était pour moi le parfait mélange de glam-grunge-punk-rock, une sorte d'Avril Lavigne passée dans une machine à habits de rock psychédélique puis servie avec une verve incroyable. Elle n'a pas grand chose à voir avec la Pizzazz du dessin animé d'origine si ce n'est les cheveux verts et je tiens à vous promettre qu'elle n'a absolument aucun lien avec ce Pizzazz !!!
Outta My Way
Jerrica Benton est l'héritière d'une IA holographique ultra avancée nommée Synergy. Cette jeune femme qui était timide et incapable de chanter devant des gens, se fait aider pour surmonter sa peur. Grace aux hologrammes, Jerrica devient la fabuleuse Jem. Mais tout n'est pas parfait car elle le cache à tout le monde hormis son groupe, il lui faut donc régulièrement faire des tours de passe-passe pour ne pas montrer qu'elles ne sont qu'une seule et même personne. Le succès est fulgurant et bientôt, Jem et les Hologrammes se produisent un peu partout. Mais Synergy n'est pas exempte de bugs et ce dernier s'avèrera être plutot sombre...
l'IA décide de faire écouter une fréquence a Jerrica qui succombe alors au contrôle et change radicalement de style. Ensuite ce sont les trois autres membres du groupe qui succombent à l'hypnotisme audio. En parallèle, Pizzazz est seule de son côté après un accident de voiture, elle a de graves dégâts à la gorge et son avenir est incertain. Pour la remplacer, les Misfits font des auditions et Leah Dwyer remporte la place. Mais elle se sent très mal car en tant que transgenre (homme vers femme), elle ne veux pas s'imposer dans un groupe entièrement féminin. Et puisque le choses ne sont jamais suffisamment compliquées, Jem et les Hologrammes s'apprête à jouer leur nouvelle "musique" devant une salle de concert entière !
Winning Is Everything
Alors je vais être sincère, je ne connaissais pas Kelly Thompson comme scénariste avant de me lancer dans "Jem & The Holograms". De ce que j'ai pu voir des dix numéros précédant l'arc "Dark Jem", je dois dire que j'ai beaucoup apprécié, c'est un juste équilibre entre une prise moderne sur une vieille licence, un comic sur le monde de la production de musique et un peu d'écriture façon comics indie (IDW n'est absolument pas le plus gros éditeur de la planète) ce qui fait que j'ai trouvé l'ensemble de son écriture tout à fait sympathique. La prémice était pourtant relativement casse-gueule, allez écrire un comic-book sur un jouet ex-concurrent de Barbie qu'on a pas revu depuis les années quatre-vingt. Toutes les résurrections de licences ne fonctionnent pas toujours, de plus j'attends toujours un éditeur courageux pour ramener "Mighty Max", "Extrêmes Dinosaures" et "Street Sharks". Disney a ranimé "Gargoyles" il y a quelques mois, alors j'ai envie de dire que ça se tente...
Mais là n'est pas le sujet. Kelly Thompson officie aujourd'hui sur "Captain Marvel" et c'est intéressant de la voir en écriture avant cette série. Jem est une série indubitablement Girl Power mais pleine de douceur, de sensibilité et d'un plaisir sincère. la partie "Dark Jem" est pour moi l'apothéose de "Jem & The Holograms" chez IDW.
Sophie Campbell je la connaissais depuis Tortues Ninja, c'est elle qui était en charge du dessin sur l'arc "Northampton" qui était un passage plein d'émotions, de tendresse et également une sorte de retour aux sources pour les Tortues. Jamais je ne pourrais oublier l'illustration de pleine page dans Teenage Mutant Ninja Turtles #32, où Michelangelo attaque Koya en plein vol avec un saut en moto. De plus il y avait une certaine rondeur de trait chez l'artiste qui contribue à une forme de douceur et de tendresse visuelle, pour moi c'était le choix parfait sur "Jem & The Holograms".
De plus son dessin (que je trouvais déjà bon) s'est énormément amélioré depuis sa période TMNT, les personnages sont d'une grande élégance, il y a une vraie recherche artistique dans les tenues et les mises en scène (J'ai kiffé le clin d'oeil avec le legging ou il est marqué "outrageous" !). "Dark Jem" ressemble un peu à une excuse pour Campbell de faire des tenues Glam Goth au cast et ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre. L'apparition de Jem après son contact avec Synergy corrompue est vraiment marquante, ça faisait très défilé de mode malgré un environnement quotidien, le contraste était vraiment bien choisi. J'aurais aimé que ça dure quelques numéros de plus tant j'ai apprécié...
Synthèse Téléologique
Alors, t'as capté le problème depuis le début de l'article ? Y'a quelque chose qui t'a fait tiquer ? Si tu te demandes " Hein ? Quoi ? Mais de quoi elle me parle là ???", regarde bien le titre. "Jem & The Holograms". La seule du groupe qui emploie un hologramme, c'est Jem ! Donc c'est excatement l'inverse du titre, c'est trois gonzesses avec un hologramme qui s'appelle Jem ! Je pense que la personne au marketing dans les années 80 avait pas du tout compris le pitch. Bref c'était ma minute chieuse de service. Retournons à nos moutons. "Dark Jem" est donc pour moi un vrai plaisir tant au niveau de l'écriture que du dessin même si je reste convaincue que deux ou trois numéros de plus auraient pu permettre de donner un peu plus de profondeur à cet évènement.
J'ai eu de la peine sincère vis-à-vis de la situation de Pizzazz qui s'en sort quasiment seule alors qu'elle était au fond du trou émotionnellement. Pour moi ça a donné une vraie dimension de battante au personnage et on se rends compte que même si elle est populaire et cheffe des Misfits, les coups durs elle a tendance à les affronter seule envers et contre tout, ce qui viens étoffer ce coté tête de mule qui va jusqu'au bout de ses idées, ce qui est pertinent pour une meneuse de groupe musical comme le sien ! L'autre partie que j'ai vraiment aimé c'est celle avec Leah Dwyer qui auditionne pour chanter dans les Misfits puisque Pizzazz est hors-jeu. Leah est trans homme-vers-femme et lorsqu'elle apprends qu'elle est choisie, est très perturbée. En tant que trans elle se demande si sa place dans un groupe féminin est légitime. Ne pouvant tenir plus longtemps, elle l'avoue aux membres et c'est parfaitement accepté par les Misfits.
La dessinatrice est également trans, pour moi le passage là était éminemment personnel pour Campbell et j'ai trouvé ça très intéressant et tout à fait pertinent. Dans un monde moderne en proie à la cancel culture, aux questions de légitimité et d'identité, j'ai aimé voir ça dans un comic comme "Jem and the Holograms". L'acceptation de Leah était un moment très agréable et somme toute normale, c'est encourageant de faire un coming-out positif dans un comic-book, le temps passe et les mentalités évoluent. Je trouve cet arc narratif extrêmement réussi de bout en bout. La seule chose qui m'ennuie un tantinet, c'est le retour bien trop rapide de Pizzazz.
Elle a eu un grave accident de voiture et sa gorge est sérieusement endommagée, ce qui mets sa carrière en jeu et l'isole de son groupe. Si j'avais été au scénario, j'aurais émancipé Jem de Synergy corrompue grace à un autre subterfuge et j'aurais continué l'histoire sans Pizzazz pour que le doute plane sur son sort. Les numéros auraient continué avec l'introduction des Stingers et un eventuel triangle de challenge Misfits - Jem - Stingers ou les groupes auraient lutté au coude à coude dans une importante compétition et alors que tout semble perdu, Pizzazz débarquerait, requinquée et determinée, donnant la victoire et le grand rôle à son groupe, secondée par Leah au chant. (des duos en chanson je trouve ça génial !) Dans le comic son retour a bien lieu, mais pour contrer les effets de la corruption et j'ai trouvé ça un peu dommage d'avoir remis la chanteuse rivale de Jem sur pieds aussi vite. Mais la section où elle réapparait et la tenue qu'elle porte c'est juste absolument fantastique et ça ne fait que renforcer mon amour pour ce personnage !
Voilà, que dire de plus, hm ? Pas grand chose ! Je pense que s'il n'y avait qu'un truc à lire sur Jem en comics, pour moi ce serait "Dark Jem" qui couvre les numéros 11 à 16 de la série et qui sont la quintessence de l'art, la stylistique et la passion de Sophie Campbell au dessin sur un scénario très intense de Kelly Thompson. Je sais que Thompson est actuellement sur Captain Marvel et Campbell sur Teenage Mutant Ninja Turtles mais je pense que j'achèterais n'importe quel titre si elles venaient à refaire un truc ensemble, que ce soit de la licence ou non !